PC   Special Force 2: Tale of the Truthful Pledge   FPS/TPS   2007  PAR Folkefiende 







On entend rarement parler de jeux produits par des studios basés autre part qu'au Japon, en Amérique du Nord ou en Europe centrale. Il est parfois question de la Corée du Sud ou de la Russie, mais c'est loin d'être fréquent. Il faut dire que les autres régions du monde ne sont pas spécialement plongées dans un contexte propice au développement d'un marché du jeu vidéo, surtout étant donné que la plupart des titres viendraient de l'étranger et que les développeurs locaux auraient du mal à se trouver un budget honnête... Hé bien, avec Special Force 2: Tale of the Truthful Pledge (Aleqwh Alekhash 2 - Hekayh Alew'ed Alesadeq en Arabe), sorti en 2007 sur PC et traduit (non-officiellement) plus tard en Anglais, c'est d'un de ces pays dont il sera question dans cet article : Le Liban. Mais qui donc au Liban a bien pu s'être mis en tête de produire un jeu vidéo, qui plus est une suite à en croire le nom, vous me direz ? Hé bien... Le Hezbollah.

Petite parenthèse historico-politique pour remettre tout le monde a niveau : Le Hezbollah ("Parti de Dieu") est un parti politique Islamiste chiite fondé en 1982 au Liban en réaction à l'invasion israélienne qui y a été lancée alors que le pays était déjà en guerre civile. Son principal but revendiqué est la destruction de "l'entité Sioniste", c'est-à-dire l'État d'Israël. Outre cet anti-sionisme, les leaders du mouvement s'inspirent des idées théocratiques de l'Ayatollah Khomeini ("guide" de la Révolution Islamique iranienne) et estiment que la Charia reste la meilleure forme de gouvernement pour les populations musulmanes. Si les cadres du mouvements tiennent un discours modéré publiquement, en mettant en avant leur respect de la démocratie ou la mixité de leur personnel, certains de leurs propos relèvent clairement du fanatisme religieux (le jihad comme "devoir sacré") ou de l'antisémitisme (Human Rights Watch comme "greffé de Juifs"). Le Parti, qui siège depuis 2011 au gouvernement, est très puissant : Il est soutenu financièrement et politiquement par l'Iran et la Syrie ainsi que par des donateurs privés. Cela leur permet d'avoir leur propre chaîne de télé (al-Manar), d'entretenir une large infrastructure au point d'être le premier employeur du pays ainsi que d'obtenir un soutien populaire en participant à la construction d'hôpitaux et d'écoles... mais aussi et surtout de maintenir une aile paramilitaire, l'al-Muqawama al-Islamiyya ("Résistance Islamique"), si conséquente en effectifs qu'elle seraient autant sinon plus massive que l'armée nationale officielle du pays ! Et elle n'est pas vraiment très "clean"... En effet, ils ont compté des kamikazes parmi leurs rangs et ont déjà utilisé des boucliers humains dans leurs opérations... sans oublier que des militants eux-mêmes admettent tirer à l'aveuglette sans réel discernement entre militaires et civils israéliens. Leur condamnation de mouvements se revendiquant ouvertement du terrorisme comme al-Qaïda rend ambigüe leur position dans ce genre de stratégie, et le statut de "terroriste" parfois attaché au Hezbollah ne fait pas l'unanimité sur la scène internationale.



Résumons : Le Hezbollah est un parti-milice Islamiste libanais bien établi et militairement actif. Voilà.


Sur la carte de gauche, la région du conflit (Israël en bleu, le Liban en rouge, la Syrie en vert foncé et l'Iran en vert clair).


Mais il est temps de revenir au jeu. Sans grande surprise, il s'agit d'un jeu de tir à la première/troisième personne tout à fait classique. Le moteur graphique basé sur le CryENGINE (utilisé sans autorisation évidemment) est forcément dépassé et les textures sont très laides, mais bon on s'en fout un peu. Le jeu s'ouvre sur un montage de différents clips vidéo d'exploits militaires du Hezbollah, le tout supporté par un chœur d'hommes. Les menus qui suivent ont le mérite d'être clair et de proposer de configurer les contrôles, la résolution ou encore la difficulté ; le minimum syndical est donc là. Un mode multijoueurs en ligne est même disponible, mais inutile de préciser qu'il n'y a jamais personne là-dessus ; c'est donc la campagne solo qui va attirer notre attention.

Le jeu n'est pas bien long : Il n'y a que quatre missions, et il n'y a même pas besoin de "progresser" puisqu'elles sont toutes débloquées dès le début et qu'il vous suffit de choisir celle que vous voulez jouez. Elles sont par ailleurs toutes basées sur la Guerre des Juillet de 2006, qui a de nouveau vu s'affronter le Tsahal et différentes factions libanaises dont le Hezbollah. Vous avez un ensemble d'objectifs (commentés en Arabe dans une oreillette) à accomplir à chaque mission : Nettoyer la zone des soldats "sionistes", récupérer des documents confidentiels, détruire le matériel radio ennemi, des trucs du style. Les buts à atteindre sont donc compréhensibles et plutôt routiniers, et c'est difficile de se perdre surtout vu que les maps ne sont pas bien grandes ni spécialement libres non plus. Vous avez à votre disposition un arsenal générique mais suffisamment diversifié pour vous adapter à votre mission : Un poignard, un pistolet, des mitrailleuses, un bazooka, un fusil de sniper ainsi que différentes grenades. Vous pouvez aussi parfois monter à bord d'un véhicule pour couvrir de plus longues distances, ce qui rattrape le sprint vraiment pas rapide du tout et sa barre d'endurance qui se vide en un clin d’œil. La vie, elle, se gère "à l'ancienne" : Pas question de reprendre progressivement votre souffle, c'est un compteur de vie à 100 points et qui se vide très vite, qui plus est, même en mode facile. Les soldats ennemis sont souvent difficiles à détecter en plus, notamment à cause d'un clipping très péte-couilles qui oblige à vraiment préparer le moindre de ses assauts. C'est pas que l'IA soit très fine, pourtant ; si les les gars mettent à canarder dès qu'ils vous entr'aperçoivent, de loin ils se font descendre comme des lapins. On se fait quand même buter souvent, mais il y a heureusement quelques checkpoints bien placés qui permettent de pas devoir tout se retaper à chaque fois.

C'est à peu près tout. Special Force 2 est particulier par son contenant mais pas son contenu, puisque c'est juste un FPS random comme ils s'en vendent à la pelle dans les boutiques de jeux PC au rabais du reste du monde. Je dois tout de même admettre que je m'attendais à pire venant de mecs plus habitués à l'envoi de missiles Scud qu'au level design ! Ça reste un jeu tout à fait osef dans le fond, mais tout à fait finissable même si pas forcément des plus agréables. Il y a aussi relativement peu de bugs, et j'ai jamais eu droit à des freezes de merde ou de trucs du genre. Le Hezbollah gère mieux ses jeux PC que Nintendo ses émulateurs N64, c'est un peu triste à dire. Bref, du "ok" sur tout la ligne.



Quand les ennemis approchent, tirez comme un malade. La stratégie, c'était pour avant qu'il vous captent.


Le bazooka permet surtout de défoncer les véhicules. Ce campement est truffé de soldats par contre, va falloir le nettoyer de loin.


Il est évident que ce qu'il y a d'intéressant à analyser dans un jeu comme Special Force 2, c'est la façon dont il est présenté et le message politique sous-jacent. En effet, c'est quand même quelque chose que de jouer à un jeu libanais plutôt qu'américain ! Alors, qu'est-ce qui différencie notre FPS "anti-sioniste" de bien des grosses productions occidentales d'un point de vue "politique" ? Hé bien, c'est con à dire mais... pas tant que ça. Bien évidemment, le point de vue et les idées politico-militaires sont opposées. Mais dans les deux cas, on a affaire à des jeux qui présentent d'office le protagoniste et son armée comme des libérateurs, avec une mise en scène "héroïque" dans un but glorificateur complètement acritique. Dans Special Force 2, il faut à un moment envoyer des missiles sur Israël sur fond de musique de prières... mais cela change-t-il foncièrement de l'action d'envoyer des missiles ailleurs sur fond de musique hollywoodienne pas forcément plus agréable ?

En réalité, ce qui diffère entre le jeu du Hezbollah et un CoD, c'est la motivation derrière l'imagerie : Là où le premier a un but clair de propagande et d'enrôlement pour un parti, le second se contente de recycler une vision consensuelle de la guerre pour faire un jeu qui marche. Cette distinction ne se fait pas avec un jeu comme America's Army par contre, le fameux jeu produit par l'armée américaine qui lui rejoint clairement la logique propagandiste de Special Force 2. C'est en ça que ce genre de jeu peut paraître plus nocif : Il cherche activement à convaincre voire carrément à recruter plutôt que de se "contenter" d'exploiter une partie rentable de l'opinion publique. Ça reste assez désolant de voir que, d'un côté comme de l'autre, on voit dans le joueur quelque chose à s'approprier (idéologiquement comme commercialement) plutôt qu'un individu à qui confier les moyens de se faire sa propre opinion sans forcément jouer la carte de la pseudo "objectivité" historique.

Et j'ai comme l'impression qu'un FPS du genre est pas prêt de voir le jour, étant donné les implications politiques d'un tel projets ; j'entends déjà les "collabos impérialistes, idiots utiles du lobby sioniste !" et les "antisémite décomplexé, complaisant avec les Islamistes !" fuser en direction du studio qui serait son développeur. Cela dit, je ne pense pas du tout que ce soit impossible. Après tout, Bioshock était assez politique, et si son analyse critique de l'économie de type laissez-faire n'a pas forcément bousculé les joueurs européens, elle prend une tout autre dimension aux États-Unis où le libéralisme économique est encore sérieusement sanctifié. En tout cas, j'ai beau pas être friand du genre du tout, un FPS qui se déroule pendant la guerre Iran-Irak et où on pourrait incarner différents types de persos (militaires, civils, cadres de parti, dignitaires religieux, etc), je prendraiss tout de suite !

Pour terminer cette review, je vais parler d'une sensation bizarre ressentie en regardant l'ending du jeu. Similaire à l'intro mais bien plus long (plus de 5 minutes), il compile vidéos et photos des dégâts que le Hezbollah est parvenu à faire dans tout un tas de quartiers israéliens visiblement peuplés de civils. Et le tout en musique, évidemment... Ce qui est d'autant plus déstabilisant que les chants du Hezbollah font penser à mélange entre une piste d'un vieux VHS de karaoké, une marche militaire au format MIDI et une musique stock de RPG Maker avec des mecs qui chantent en Arabe par dessus. Soit, on a donc droit à une diapo d'incendies urbains, d'immeubles éventrés et de non-combattants en civières. Et on se dit qu'au final, c'est nous qui avons fait ça au cours du jeu, on est mis en face de notre responsabilité en tant que joueur. On nous met dans la face que nos glorieux missiles ont atterri en plein d'un milieu d'un quartier résidentiel et que ça tué plus de gosses qui comprennent même pas ce qu'il se passe plutôt que des colonels impérialistes de l'IDF. Au fond, le Hezbollah a pavé la voie vers un jeu du genre dont je parlais plus haut... sans le faire exprès.



L'intro fixe le ton et des discours de l'actuel leader du Hezbollah, Hassan Nassrallah, viennent ponctuer les missions.


Descendre un hélicoptère vous gratifie d'un "allahu ackbar". Et l'ending se complait dans un montage de dégâts civils sur Israël...


Voilà, c'est tout. Désolé de pas avoir pu tester le premier épisode ; il est absolument introuvable sur Internet, et ne peut être commandé que dans le monde arabe (sans oublier le fait que j'ai pas trop envie de financer le Hezbollah). Déjà que pour celui-ci, j'ai du passer un vieux site paumés dans la Wayback Machine pour obtenir 12 liens Mediafire encore en ligne par je ne sais quelle miracle... D'ailleurs, techniquement, télécharger ce jeu sans verser au moins $10 au Hezbollah ou à la mosquée est considéré comme haram ("illicite") selon l'uploader de la version patchée. Et parce que je suis entièrement dévoué à ma cause, j'ai uploadé l'OST du jeu aussi ! Bref, c'était ma review d'un jeu produit par des Islamistes où j'ai conclu sur du meta-gaming. On s'enjaille.


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