Mac   Shining Flower: Hikaru-Hana   Aventure   1993  PAR Folkefiende 





Qu'est-ce qu'un jeu vidéo ?

En voilà une question !



C'est un jeu qui s'affiche sur un écran, avec des règles claires et un but propre, tout simplement.

Ou vraiment ?



Au fond, cette définition a été maintes fois remise en question : De LSD (1998) à Flower (2009) en passant par Yume Nikki (2004), bien des jeux ont su montrer qu'on pouvait laisser de côté des notions qui semblaient aussi évidentes que le challenge ou la progression, et qu'une fin pouvait n'être au mieux qu'accessoire. Entre autres.

Alors, quid ?



Quoi qu'il en soit, c'est probablement dans cette démarche que s'était lancée Kikuko Iwano, peintre japonaise tentée par les expériences multimédias - et c'est ainsi que sortit en 1993 un CD-ROM pour Macintosh intitulé Hikaru-Hana (littéralement "fleur luisante") développé par un obscur studio du nom de maze, Inc.

Pour l'anecdote, ce titre a été publié en dehors du Japon par la Voyager Company, un distributeur spécialisé dans les applications éduactives. Celui-ci disparaîtra quelle années plus tard mais laissera derrière lui un petit projet du nom de... Criterion Collection, aujourd'hui un des éditeurs les plus reconnus dans le domaine du cinéma d'art !

Mais intéressons-nous donc au "jeu" en question...





Le jeu suit le périple à travers un paysage onirique voire surréaliste d'un petit homme tenant en mains une fleur rouge dont émane une vive lumière. Il y fera la rencontre d'étranges créatures, qui lui feront un peu malgré lui visiter les recoins de ces contrées inconnues.

Ce voyage teinté de spiritualité qu'on imagine initiatique emmènera le joueur jusque dans les profondeurs abstraites de la terre tout en le laissant plongé dans une sorte de plénitude - le silence qui caractérise la narration n'y étant probablement pas pour rien.

Car oui, il n'y a ni dialogues, ni même le moindre texte - tout se joue dans le visuel, renforcé par la bande-son ambient un peu ethnique. Et à ce niveau, il n'y a pas à dire, le jeu est vraiment superbe - combiné avec le peu de moyens technologiques que permettaient les ordinateurs du début des années 90, les talents artistiques d'Iwano donnent un résultat qu'on pourrait qualifier d’expressionnisme lo-fi - à mi-chemin entre le rejet du réalisme naïf et le color cycling qui a fait les belles heures du jeu d'aventure.

Cette pièce exemplaire de pixel art a vraiment très bien vieilli, et elle reste aujourd'hui une véritable merveille pour les yeux. Survivre de cette façon à l'épreuve du temps a permis de garder intact l'impact du charadesign comme des panoramas, tous à la fois attendrissants et déstabilisants.

Mais quelle est donc la part d'interactivité dans tout ça ? Hé bien, elle est très... minimaliste, c'est le moins qu'on puisse dire : Elle se limite à vous laisser le choix du paysage dans lequel vous voulez vous rendre en cliquant en dehors de la fenêtre de "jeu", et de quand lancer la longue animation qui lui est liée en cliquant dedans. Oui, c'est tout.

Le jeu est très court, et l'essentiel du temps de "jeu" est en fait passé à regarder des vignettes animées. Du coup, on pourrait se poser la question : Pourquoi faire un jeu vidéo ? Ça aurait été suffisant de faire un film d'animation, non ?

Hé bien, pas vraiment. Le jeu vidéo, en apportant le facteur d'interactivité - même lorsque celle-ci est ultra-minimale - définit une forme propre dans laquelle l’œuvre se présente. Celle-ci permet d'impliquer le joueur d'une manière différente qu'il ne le serait devant un film ou une bande-dessinée. Après, bien sûr, est-il encore question de réussir cet aspect. Et on ne peut pas dire qu'Hikaru-Hana soit vraiment convaincant à ce niveau-là...

Parce que son interactivité est trop limitée. Bien sûr, elle a fait le choix explicite de jouer dans cette cour-là ; mais il n'empêche qu'elle a un impact négatif sur l'expérience de jeu, et perd beaucoup du potentiel qu'elle aurait pu avoir. Quelques interruptions des animations, où l'interactivité serait revenue s'immiscer quelques secondes, auraient déjà pu par exemple largement rehausser l'immersion. En fait, Hikaru-Hana a du mal à maintenir le sentiment qu'on participe à quelque chose. C'est au fond là tout le défi de ce genre de jeu : Distiller une expérience alambiquée sans pour autant perdre l'importance de l'input du joueur.

Ce qui amène une autre question : Jusqu'à quel point le minimalisme dans le jeu vidéo est-il une force capable de traduire des sentiments particuliers comme seul le jeu pourrait le faire, et à partir de quand devient-il une faiblesse qui tend à trop laisser le joueur en spectateur ?

C'est une corde raide sur laquelle il est difficile de ne pas perdre son équilibre. Parfois, "less is more" comme on dit, c'est vrai... mais ça ne veut pas forcément toujours dire que "less is enough". Si on prend l'exemple d'un jeu qui a réussi cet alchimie, le sus-cité Yume Nikki, on peut remarquer certaines mécaniques essentielles malgré l'interaction limitée : Notamment, une sollicitation constante du joueur à travers le contrôle du personnage, et une part d'inconnu dans ce qu'on explore ou ce qu'on utilise.

Bref, il ne s'agit pas de tirer à boulets rouges sur Hikaru-Hana - mais bien d'en tirer des leçons. Il a tout de même le mérite d'être un de ces premiers jeux qui considéraient que le plaisir esthétique pouvait bien être une finalité en soi, plutôt que le dénouement d'un scénario ou la victoire dans un combat.





Voilà donc pour Hikaru-Hana. Le constat est assez clair : Si l’œuvre est visuellement stupéfiante, le minimalisme du gameplay n'est pas du tout efficace. On lui laissera malgré tout l'honneur d'être, à sa façon certes limitée, un précurseur de ce qu'on finirait par appeler aujourd'hui la "free exploration". À noter qu'Iwano a été quelques années après à la source de deux autres projets CD-ROM probablement similaires dans leur concept : PHIBOS et Lakis ~Minatochou Musoukidan~. Mais ceux-ci restent pour le moment introuvables... Avis aux amateurs d'expéditions de recherche de jeux perdus !


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